Croyances et valeurs, les déterminants invisibles de nos comportements
Sommaire
Les termes croyances et valeurs sont parfois confondus. Ils désignent cependant deux aspects distincts de la construction psychique. Il y a également confusion dans les différents niveaux auxquels elles s’exercent, il y a diverses strates de croyances et valeurs qui n’ont pas le même impact sur nos attitudes et comportements.
Le sujet, complexe, peut faire l’objet de diverses interprétations. Cette synthèse n’entre pas dans une démarche scientifique de la psychologie, c’est un point de vue qui propose une vision simplifiée et pragmatique pour éclairer la connaissance de soi.
1. LES CROYANCES, LE CADRE LIMITANT DE CE QUE L’ON TIENT POUR VRAI
Les croyances se définissent en psychologie et en sociologie comme des principes (ou des présupposés) qui sont tenus automatiquement comme vrais. Elles conditionnent des filtres qui limitent nos perceptions, pour les rendre autant que possible conformes à ce que nous croyons vrai. C’est la raison pour laquelle on parle couramment de croyances limitantes.
1.1. Trois niveaux de croyances
On peut distinguer très schématiquement trois niveaux de croyances
– Les convictions mentales alimentent ce que nous disons (et pas toujours ce que nous faisons !). Elles peuvent plus ou moins facilement être remises en cause par une analyse rationnelle de ce que nous percevons et connaissons. Elles ont une base passive, par imprégnation du milieu dans lequel nous grandissons, puis peuvent évoluer par les expériences vécues, par la soumission à des influences externes, ou par une démarche philosophique conduisant à choisir ce que nous tenons consciemment pour vrai.
Par exemple, nous pouvons croire ou non qu’il y a une continuité d’existence après la mort, que le libéralisme économique est le meilleur modèle social pour l’épanouissement de l’humanité ou que l’homéopathie fonctionne ou non.
➥ Il est essentiel de bien différencier les convictions mentales des croyances définies par la psychologie, car elles n’ont qu’un effet indirect et limité sur nos comportements.
– Les croyances opérationnelles sont des principes spontanément présents dans notre activité psychique que nous pouvons conscientiser ou non, et qui déterminent nos pensées automatiques, nos émotions, nos réactions, nos comportements auto-induits (sans volonté consciente).
Par exemple, si notre croyance est « je sais ce qui est juste », alors nous n’avons aucun doute sur ce que nous ressentons comme juste. Si notre croyance est « je ne suis pas digne d’être aimé(e), » alors nous pensons que personne ne peut nous aimer et nous ne retenons dans nos expériences que ce qui le confirme.
➥ Les croyances opérationnelles sont facilement explorables en psychothérapie. Elles nous expliquent comment nous fonctionnons et peuvent évoluer avec un travail thérapeutique adapté.
– Les croyances fondatrices (appelées aussi croyances racines ou croyances profondes), sont totalement inconscientes. Elles structurent la boîte noire qui pilote l’auto-organisation de nos automatismes psychiques. Ce sont les racines qui portent la construction de notre personnalité. Elles sont invisibles, impossibles à ressentir de manière directe. Nous n’en observons que les conséquences.
Par exemple, si notre croyance fondatrice est « pour être aimé(e), il faut réussir », alors nous allons développer une capacité de travail et de persévérance pour réussir, éviter tout échec et montrer nos succès.
➥ Aborder les croyances fondatrices est une approche de développement de soi délicate, qui nécessite beaucoup de rigueur et la référence à un modèle performant.
1.2. L’importance des croyances fondatrices en psychologie
Les croyances fondatrices, inconscientes, présupposent ce qui est considéré comme vrai. Elles sous-tendent les préjugés qui filtrent nos perceptions et nous donnent une représentation subjective du monde et de nous-même. Ainsi, nous percevons la réalité extérieure et intérieure déformée par nos filtres. Chacun vit dans le monde qu’il s’est construit et qu’il confirme spontanément par l’interprétation de ses expériences.
Ces croyances profondes s’installent très précocement lors de la construction psychique, dans un processus adaptatif nécessaire à la survie. Une personnalité a besoin de racines pour se construire. Ces racines sont les croyances fondatrices qui viennent répondre aux ressentis du jeune enfant quand il perd la sensation de fusion protectrice avec sa mère et qu’il se retrouve seul face au monde.
La personnalité qui se développe dans la continuité des croyances assure notre survie, en contrôlant par des automatismes puissants notre manière de réagir et de nous comporter. Elle nous donne une identité égotique, en réalité un faux-self limitant, qui doit se préserver pour maintenir sa fonction.
Elle met ainsi en place des comportements protecteurs destinés à éviter tout ce qui menace cette identité. Quand ces évitements échouent, nous ressentons une insécurité qui se manifeste par un stress dont nous avons du mal à discerner l’origine.
Les croyances fondatrices déterminent nos qualités spontanées (pour lesquelles nous n’avons aucun mérite), nos limites, et la capacité à nous adapter à différentes situations. Elles sont à l’origine des incompréhensions profondes entre les êtres ayant des personnalités différentes, et elles alimentent des conflits qui semblent sans issue.
1.3. La volonté ne permet pas de changer les croyances
La célèbre citation d’Einstein : « Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé », illustre à quel point il est difficile de faire évoluer les croyances opérationnelles. Pour les croyances fondatrices, c’est même inenvisageable, cela conduirait à une perte de cohérence de la structure psychique dans lesquelles elle est enracinée. Ce qui peut évoluer, en revanche, est la manière dont nous composons avec.
La volonté ne pouvant pas changer nos croyances profondes, n’a donc aucune emprise sur nos automatismes psychiques (pensées, émotions, comportements compulsifs). C’est pourquoi la psychothérapie invite à cesser de vouloir contrôler ce qui n’est pas contrôlable, pour accepter ce qui est là spontanément, et s’investir dans des changements qui vont faire évoluer conjointement les comportements et les croyances qui leur sont associées.
1.4. L’Ennéagramme, un modèle particulièrement éclairant pour identifier nos croyances profondes
L’Ennéagramme des personnalités est un modèle traditionnel révélé il y a une cinquantaine d’années, qui ne cesse depuis d’être expérimenté et approfondi. Il est resté en marge de la psychologie universitaire, car il n’entre pas dans son approche scientifique qui cherche des modèles généraux applicables à tous.
L’Ennéagramme propose sur la base de croyances fondatrices bien identifiées 9 modèles (ou bases) de personnalités. Chacun se développe une personnalité suivant une logique spécifique ne s’appliquant qu’à lui-même. Il y a des éléments de diversification qui font que les personnes de même modèle sont différentes, avec cependant des racines communes que l’on peut retrouver.
Une fois la base identifiée, sa logique fonctionnelle éclaire de manière magistrale ce qui nous est facile et ce qui nous pose sans cesse des difficultés. Cela nous explique aussi pourquoi des personnalités construites sur des modèles différents se comprennent si mal, ce qui conduit à d’incessants conflits qui se répètent sans solutions.
Pour celles et ceux qui ont découvert avec l’Ennéagramme leur base de personnalité, il y a un avant et un après !
2. LES VALEURS : LE MOTEUR DE NOTRE MOTIVATION
L’étymologie du mot valeur (valere : être fort) indique un lien avec un potentiel d’implication. Nous sommes plus ou moins impliqués dans nos prises de position et nos actions selon nos valeurs. La psychologie a défini les valeurs comme des buts motivationnels ou des motivations trans-situationnelles (c’est-à-dire ne s’expliquant pas par la spécificité de la situation).
Elles ne sont pas directement observables et se manifestent à partir de nos perceptions, nos attitudes, nos choix, nos comportements, nos jugements et nos actions. Elles éclairent le sens de nos actions, alors que les croyances indiquent plutôt comment nous réagissons
2.1. Plusieurs niveaux de valeurs
Comme pour les croyances, on peut distinguer plusieurs strates de valeurs, schématiquement 4 :
– Les valeurs de surface sont pleinement conscientes et se manifestent au quotidien. Nous pouvons les nommer, les revendiquer. Elles corrèlent généralement avec les croyances mentales. Elles influencent la manière de s’habiller, de participer à des rituels, de suivre des règles, de voter en démocratie. Elles alimentent nos conversations, et motivent la capacité à se battre en pleine lumière.
Par exemple, si nous avons la valeur préservation de la planète à un niveau élevé, nous sommes attentifs à notre bilan carbone et nous pouvons participer à des actions visant à préserver des zones naturelles.
Politiquement, si nous avons la valeur solidarité élevée, nous penchons plutôt à gauche, alors qu’avec une valeur patrie/tradition et/ou réussite par la compétition plus marquée nous penchons plutôt à droite.
– Les valeurs implicites sont présupposées, connues, sans être clairement conscientes et donc non revendiquées. Elles agissent comme les valeurs de surface sur les comportements choisis sans conduire à des prises de position marquées.
Par exemple, avec une valeur implicite préservation de la planète, nous sommes spontanément attentifs à ma contribution à cette préservation, sans le revendiquer et sans avoir de comportement militant.
– Les valeurs masquées sont des valeurs d’opportunités. Elles conduisent à adopter des comportements qui ne sont pas forcément en phase avec nos motivations spontanées et uniquement destinées à atteindre un objectif.
Par exemple, je peux avoir en moi une forte valeur de liberté (et donc d’anticonformisme) et me montrer conforme à ce que l’on attend de moi pour obtenir un emploi ou gagner un marché.
– Les valeurs profondes. Elles sont inconscientes et forment le socle de tout le système de valeurs
2.2. Le système hiérarchique des valeurs individuelles
Dans la lignée de ses prédécesseurs qui ont étudié les valeurs profondes avec la rigueur de la psychologie universitaire, Shalom Schwartz a effectué un travail remarquable d’identification de ces valeurs en les étudiant dans des cultures différentes. Il a ainsi construit un premier modèle avec 10 valeurs, puis un second qui l’affine avec 19 valeurs, qui ont toute un caractère universel, c’est-à-dire qu’on les retrouve chez tous les humains, avec une hiérarchie différente.
La carte des valeurs d’un individu attribue à chacune d’elles un score (de 0 à 6). Elles sont ainsi hiérarchisées dans une configuration spécifique de la personne. Il est possible de déterminer sa propre cartographie par divers tests. Le plus complet, le questionnaire des valeurs par portraits – révisé, comporte 57 questions.
Les 19 valeurs définies par Schwartz ne sont pas, a priori, très parlantes. Elles sont cependant déterminantes dans nos comportements :
– Elles donnent une orientation à nos émotions.
– Elles se réfèrent à des buts désirables qui motivent nos actions.
– Elles sont générales, c’est-à-dire qu’elles transcendent les situations spécifiques.
– Elles fixent nos normes personnelles pour évaluer les actions, les politiques, les gens, les évènements.
– Elles influencent de manière inconsciente nos décisions.
2.3. L’importance des valeurs dans notre bien-être
Vivre dans l’alignement de nos valeurs nous permet à la fois de disposer facilement d’énergie pour entreprendre, et de ressentir du sens à sa vie, ce qui en psychologie positive est une composante majeure du bonheur.
À l’inverse, vivre dans un environnement contraire à nos valeurs nous demande beaucoup d’énergie sans apporter de satisfaction, ce qui épuise et rend la vie inconfortable.
2.4. La spirale dynamique : un modèle particulièrement éclairant pour identifier nos valeurs profondes
Le modèle établi par Clare Graves dans les années 1970 est une approche différente des valeurs profondes, associées à la maturité psychologique. À partir d’une grande enquête établie auprès de ses étudiants, Graves a défini différents niveaux de maturité, qui se succèdent dans l’histoire de l’humanité. On les retrouve aussi dans la progression du développement psychique d’un individu. Chaque niveau apporte des acquis qui sont nécessaires pour le niveau suivant, c’est pourquoi le passage par tous les niveaux antérieurs, et toujours dans le même ordre, est nécessaire pour atteindre le niveau le plus évolué.
Ces différents niveaux d’existence sont présentés dans une vidéo.
À ce jour, tous les humains n’ont pas atteint le même niveau. On comprend ainsi les différences, voire les fossés, entre diverses régions du monde. On comprend également comment dans un même pays, la coexistence de plusieurs niveaux (quatre sont présents en France) crée de grosses difficultés pour vivre ensemble.
Il y a une certaine corrélation entre les valeurs de Schwartz et les niveaux d’existence de la spirale dynamique. Elle doit cependant être considérée avec prudence.
3. DIFFÉRENCES ET RELATION ENTRE CROYANCES ET VALEURS
Croyances et valeurs agissent différemment avec des convergences. Elles peuvent aussi s’opposer, créant des dissonances cognitives.
3.1. Similitudes et différences entre croyances et valeurs
Il y a de nombreuses similitudes entre croyances et valeurs. Les deux ont diverses strates, inconscientes et conscientes, et donnent une orientation particulière à nos comportements, conscients et inconscients.
Les croyances profondes sont les racines de la personnalité. Elles nous éclairent sur nos comportements automatiques et nos réactions immédiates. Elles sont en relation avec nos stratégies de survie, et tracent le contour de nos limites. Elles sont relativement stables et ne changent pas vraiment au cours de l’existence. En revanche, nous pouvons évoluer dans notre capacité de composer avec en se libérant de certaines limites et valorisant le potentiel qu’elles nous ont donné.
Les valeurs profondes agissent plutôt sur nos choix et la facilité ou la difficulté avec lesquelles nous nous engageons dans une action. Elles sont en relation avec notre épanouissement. Partager les mêmes valeurs dans un groupe humain favorise le bon fonctionnement de ce groupe, sans protéger des conflits de personnalités qui sont liés à des croyances différentes.
Les valeurs profondes apparaissent en principe après les croyances et deviennent relativement stables à partir de l’âge adulte. Elles peuvent encore évoluer pour les personnes entrant dans une démarche de développement de soi.
3.2. Relation entre croyances et valeurs
Il est évident qu’il y a une relation forte entre croyances et valeurs. Les croyances sont le socle de la personnalité, elles façonnent une construction psychique qui peut intégrer facilement certaines valeurs et difficilement d’autres.
3.3. Corrélation entre Ennéagramme et Spirale Dynamique
L’Ennéagramme définit à partir de croyances fondatrices neuf bases auxquelles sont associés des modèles de personnalité.
La Spirale Dynamique définit 7 niveaux d’existence associés à des valeurs profondes, avec un ordre qui suit un processus de maturation. Chaque individu suit ce processus de maturation lors de sa croissance, et stabilise à l’âge adulte à niveau qui le caractérise. Ce niveau dépend de facteurs collectifs (dans quel cadre s’effectue la construction psychique) et individuel (nature de la personnalité et des ressentis dans le monde environnant).
Il n’y a pas de corrélation qui associe une base à un niveau de maturation, il y a en revanche des affinités (ou aversion) des bases de l’Ennéagramme pour des niveaux d’existence de la Spirale Dynamique. Lorsqu’il y a une affinité particulière de la base pour un niveau d’existence, la personne a du mal à en sortir si c’est un niveau actuel (rouge, bleu, orange) et une plus grande facilité à exprimer le niveau s’il est ultérieur (vert jaune), sans pour autant que celui-ci soit intégré. Quand il y a une aversion pour un niveau d’existence, celui-ci sera passé sans en intégrer les acquis, ou sera difficile à atteindre si c’est un niveau avancé.
3.4. Dissonances cognitives
La dissonance cognitive est la tension interne consécutive à une contradiction entre des processus psychiques : pensées, émotions, attitudes, comportements. Elles sont révélatrices d’un conflit impliquant des croyances et des valeurs, le plus souvent entre plusieurs valeurs ou entre une croyance (qui contrôle une attitude) et une valeur (qui oriente une motivation).
Exemple de conflit entre valeurs : être attiré(e) par un plaisir sensuel (valeur : hédonisme), et retenu par des interdits culturels (valeur : tradition.).
Exemple de conflit entre croyance et valeur : pour des personnalités instinctives qui ont une forte vérité interne (Base 1 ennéagramme : j’ai raison sur ce qui doit être – Base 8 : j’ai raison sur ce qu’il faut faire), le développement de la valeur universalisme tolérance (niveau vert de la Spirale Dynamique) qui demande d’écouter complètement les autres et de respecter leur avis risque de se heurter à leur impatience.
Plus globalement, il existe de multiples situations d’autocontrainte entre des désirs spontanés, liés à la physiologie, à des croyances ou à des valeurs, et la référence à des règles intérieures (liées à d’autres valeurs et amplifiées par la croyance de devoir les respecter). La violation des règles génère de la culpabilité qui cherche le plus souvent à être évitée. L’autocontrainte qui prend généralement le dessus crée des tensions internes, consommatrices d’énergie et à la longue épuisantes. Le fait de vivre sous autocontrainte peut-être un facteur important dans la survenue d’un burn-out.
4. IMPORTANCE MAJEURE DES CROYANCES ET DES VALEURS DANS NOTRE PSYCHOLOGIE
Dans une démarche de psychothérapie ou de développement personnel, identifier nos croyances et nos valeurs profondes est une étape cruciale qui permet une meilleure connaissance de soi concernant nos fonctionnements automatiques, ce qui nous motive, ce qui nous met en difficulté, et notre part dans les problèmes relationnels que nous rencontrons.
Intégrer que pour chacun, y compris nous-mêmes, la vision du monde, et les motivations à faire ou éviter certaines choses sont dans la continuité de croyances et de valeurs personnelles, en grande partie inconscientes, nous aide à mieux accepter les différences et à réduire les attitudes conflictuelles.
Identifier nos dissonances cognitives nous permet d’améliorer la connaissance des différentes parts de nous-même, d’œuvrer à leur réconciliation, et de choisir consciemment nos priorités en fonction du contexte.
Illustration : johnhain /pixabay












Commentaire
Merci pour cet article très éclairant.
A quand un test qui révélerait les confusions de valeurs ?
Bien amicalement